Retour d’expérience et réflexions

 

Issue des métiers paramédicaux, mon expérience en tant qu’infirmière a été riche en enseignements.

Lorsque l’on choisit d’embrasser une carrière de soignant, nous sommes animés par l’envie de venir en aide aux autres, les soulager, les soutenir, les accompagner.

Le métier en lui-même est exigeant car nous sommes confrontés à la douleur physique, à la douleur morale, à la mort, à l’impuissance, à la déformation des corps par la douleur ou la maladie, au handicap qui prive l’autre d’une partie ou de toutes ses facultés, à la diminution, à la dépendance, à l’intime.

Chaque jour, nous prenons soin des patients, des résidents dont nous avons la responsabilité.

Chaque jour, nous faisons avec le corps et la psyché de l’autre, tel qu’il est, là où il en est dans sa maladie, dans sa guérison, dans son handicap.

Chaque jour, nous faisons du mieux que nous pouvons pour donner le plus de soin et de confort possible, avec empathie et humanité.

Les métiers de la santé sont des métiers complexes, difficiles, exigeants. Pour autant, nous les choisissons car motivés par des valeurs qui nous sont propres, nous voulons faire quelque chose d’utile et de gratifiant.

 

Aujourd’hui, partout en France, les soignants sont à bout de souffle.

 

Leur métier est difficile mais ils l’ont choisi, ils le connaissent, ils savent ce à quoi ils sont et seront confrontés.

 

Aujourd’hui, de plus en plus de soignants « tombent » malades, de plus en plus de soignants n’en peuvent plus et se prennent de plein fouet l’épuisement professionnel.

Le soignant fait partie de ces personnels facilement corvéables à merci car réceptifs à la culpabilisation.

Le soignant à une mission : soigner coûte que coûte. Et il y met un point d’honneur. Un peu comme un super héros qui doit sauver les autres, le soignant, même malade, doit être là pour assurer son poste, « pour les patients, pour le service, pour ses collègues ».

Et puis il y a aussi la précarisation de ces métiers paramédicaux avec des contrats à durée déterminée dont les échéances servent à manipuler et à obtenir un peu plus d’un individu, même lorsqu’il « n’en peut plus ».

Et enfin il y a ces personnes dont les valeurs humanistes sont hautes et qui, face à une pression de plus en plus forte, des objectifs de rentabilité de plus en plus prégnants perdent le sens de leur travail.

La qualité des soins est chiffrée et n’est plus humaine, elle est tracée et non plus au pied du lit du patient.

 

Ces métiers sont difficiles mais leur difficulté est assimilée et acceptée par celles et ceux qui les embrassent.

 

Les conditions pour les exercer en revanche, en se durcissant, mettent les soignants devant des injonctions paradoxales à faire devenir fou n’importe qui.

Je vois chaque semaine des soignants m’expliquant leur vécu.

On exige de vous de la qualité, mais quand vous avez fini votre journée de travail, reste en vous un goût d’inachevé, un doute, une inquiétude sur le fait que vous ayez pu faire tout ce que vous aviez à faire. Est-ce que Mme Martin a bien eu son injection ? Oui…non…vous ne savez plus car vous avez passé beaucoup de temps à échanger avec son mari fort inquiet, puis vous avez été appelé par votre collègue pour changer Mr Pichou qui baignait dans ses urines ; alors vous appellerez votre collègue depuis votre voiture ou depuis chez vous pour vérifier cette information et pouvoir vous endormir. Est-ce que la perfusion de Mr Pierre est toujours bien en place et fonctionnelle car agité, il bouge beaucoup et vous l’avez déjà reperfusé deux fois cet après-midi ; il y a bien une prescription de contention si besoin, mais il n’y en a plus dans le service, elles sont déjà utilisées pour un autre patient plus agité et une dame démente qui se met en danger… Il faut faire des choix, désagréables, que vous ne voudriez pas avoir à faire, vous voulez juste avoir les moyens de faire votre travail.

Est-ce que Mme Durand réussira à dormir après l’entretien que vous avez eu ensemble dans lequel elle s’est livrée, évoquant des choses douloureuses, entretien que vous avez du interrompre car Mme Pain a fait une crise clastique… il a fallu être 4 pour la maîtriser. Cette situation vous a vidé de votre énergie mais il vous faut encore faire les transmissions à votre collègue de nuit, en 15mn au lieu de 30 il y a 10 ans, car les responsables hiérarchiques ont estimé que les transmissions étant à présent informatisées, les soignants n’ont pas besoin d’autant de temps pour échanger sur les situations des patients !

C’est ainsi que chaque jour, quasiment chaque soignant fait 20 à 30mn de plus…voire davantage, pour pouvoir délivrer toutes les informations importantes et nécessaires à la continuité des prises en charge des patients, par souci d’un « prendre soin » de qualité.

Et c’est comme cela que vous finissez votre journée de travail, fatigué, insatisfait, mais heureusement, il y a une bonne entente dans l’équipe et vous trouvez du soutien auprès de certains collègues.

 

Pourtant, quelque chose de lancinant vous irrite. Demain vous devez revenir sur votre repos car un collègue est malade, vous étiez le seul sur le planning à pouvoir le remplacer… c’est un fait, mais vous êtes épuisé, vous n’avez pas réussi à dire non, tenu par la culpabilité de laisser le service en difficulté. Et pourtant, cette journée de repos, vous l’aviez imaginée, rêvée, loin des murs blancs, loin des douleurs, loin du stress. Mais vous serez là, fidèle au poste.

 

C’est par là que, bien souvent, le début de la fin vient s’installer. C’est insidieux, à peine perceptible. A l’image de la grenouille dans la casserole d’eau. Au début, l’eau devient tiède, c’est agréable, on ne se rend pas compte que l’eau est destinée à entrer en ébullition. Et puis lorsqu’elle devient trop chaude, la grenouille finit ébouillantée.

 

Il n’est pas rare d’entendre de la part des responsables hiérarchiques que les individus ébouillantés étaient déjà fragiles à la base, qu’il s’agit de problèmes individuels d’adaptation.

Le système (la casserole) est dans l’incapacité à se remettre en question car il est semblable aux poupées russes, il est lui-même imbriqué dans un autre système qui lui-même… etc.

Le système poursuit des objectifs qui sont en inadéquation avec les motivations qui animent les soignants.

 

Dès lors, que faire ?

 

Prendre conscience de ses limites 

 

Il est important de noter que les professions paramédicales font partie des professions où les individus vont jusqu’au bout du bout car « ils y croient », ils pensent que « ça va aller, ça va passer », ils doivent poursuivre « pour les patients, pour le service ». Et aussi, parce que les collègues en arrêt sont souvent vus comme des faibles ou bien des tire-au-flanc… abandonnant le Radeau de la Méduse.

Lors de fêtes de fin d’année il y a plusieurs années, en repos à Noël, je devais assurer mon service pour le 1er de l’An. Grippée, je vais voir un médecin en urgence pour avoir un traitement d’attaque afin de pouvoir aller travailler. Il m’a stoppée net dans mon élan en me prescrivant un arrêt maladie d’une semaine. J’étais décomposée, « comment le service allait tourner sans moi ?». Et le médecin de m’expliquer « Quand on est au contact de gens malades et que l’on va travailler auprès d’eux avec la grippe, il s’agit d’une faute professionnelle ». Je le regardais, j’entendais ça pour la première fois et lui de rajouter « et moi, en tant que médecin, je ne peux pas être complice de cette faute.»

La claque. Je venais juste de comprendre que ma conscience professionnelle acquise au fil des ans était amputée du tout un pan plutôt très important !

 

Quelques années plus tard, il y a quelques mois, je rencontrais une soignante  travaillant dans un service de pédiatrie. Elle souffrait du dos, un lumbago très douloureux. Pour autant, elle refusait l’arrêt de travail prescrit par son médecin « pour ne pas mettre mon service en difficulté, et puis par conscience professionnelle ». Je me suis alors autorisée à interroger sa « conscience professionnelle » que je trouvais un peu restreinte au champ du service à rendre. Je lui exposais la situation suivante « Si au cours d’un soin, vous avez un tout petit dans les bras, et que votre lumbago vous saisit d’une douleur si violente que vos bras ne peuvent plus porter l’enfant, que vous dit votre conscience professionnelle ? ». Je me fis fusiller du regard, un « oui mais je ne peux pas abandonner mon service » fut lancé…

L’éducation à la conscience professionnelle attendue par le système était bien acquise.

La conscience professionnelle qui commence par la conscience de soi nous permettant de mieux voir nos limites, nos forces, nos incapacités et les conséquences de nos actes et décisions a été mise en arrière plan, impossible à connecter.

 

C’est un réel problème dans le domaine des métiers du soin, mais cela vaut aussi pour toutes les professions du secteur primaire au secteur tertiaire.

 

Se ressaisir de son expertise, se responsabiliser et faire corps

 

Quelque soit notre métier, notre secteur d’activité, nous avons été petit à petit déconnectés de nos valeurs, de la conscience que nous avons de nous-mêmes, de l’expertise de notre métier pour finir en mode automate et répondre aux injonctions des organisations, des systèmes dans lesquels nous évoluons.

 

Je veux croire qu’un autre monde du travail est possible.

Danièle Linhart, sociologue du travail, lors d’une conférence à laquelle j’assistais, expliquait que chaque travailleur doit pouvoir retrouver l’expertise de son travail. Que les réorganisations imposées ne peuvent se faire sans leur avis car ils connaissent leur travail, ses exigences et les besoins pour mener les missions à bien.

Dans un monde du travail de plus en plus protocolisé et segmenté, nous perdons toutes et tous le sens de notre travail et le lien social. Pourtant, ce sens n’est pas loin, il est là, juste en nous. Danièle Linhart en appelait à la responsabilisation de chacun à son poste. Se responsabiliser c’est s’extraire de la culpabilisation, des injonctions paradoxales. Mais il est vrai que celui qui tente cela est souvent mis à la marge, voire « puni ».

C’est là que l’esprit d’équipe et la cohésion d’un groupe peuvent faire la différence. Non pas en faisant la révolution, mais en indiquant à l’autorité hiérarchique les besoins pour exercer dignement, le contour et les limites de l’exercice, ce qui est possible et ce que ne l’est pas.

Pour en revenir aux équipes soignantes, elles sont rarement réfractaires au changement si elles y voient le sens et le gain pour leur fonctionnement et pour les patients. Quand il n’y a ni sens, ni gain, la résistance s’installe, les réorganisations se font à marche forcée et les soignants s’épuisent.

 

En parler, échanger

 

Certains en lisant cet article se reconnaîtront, d’autres le rejetteront. Quel que soit votre réaction, nous pouvons échanger autour de cela.

 

J’envisage d’ouvrir des groupes de paroles aux soignants. Ces groupes auront pour objectif de :

– permettre à chacun de déposer son ras-le bol, ses incompréhensions, sa colère, ses inquiétudes…

– sortir de l’isolement,

– échanger avec des personnes vivant des situations et émotions semblables,

– trouver des pistes et des outils ensemble pour vivre de façon plus apaisée son quotidien professionnel.

 

Ces groupes seront ouverts à partir de 4 participants minimum.

Si vous êtes intéressé(e), prenez contact avec moi à l’adresse : celine.poirier@cpcoaching.fr

 

 

Pour aller plus loin :

Un décryptage de la souffrance des soignants :

http://www.actusoins.com/307623/les-mauvaises-conditions-de-travail-peuvent-elles-excuser-en-partie-une-forme-de-mepris-ou-de-maltraitance.html

Un lien vers des plateformes d’écoute :

https://www.20minutes.fr/sante/2253215-20180411-souffrance-soignants-numero-ecoute-gratuit-tous-professionnels-sante

Une source de renseignements pour tous les professionnels confrontés à la souffrance au travail :

https://www.souffrance-et-travail.com/

 

 

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